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La filature du salarié par un détective privé est un mode de preuve illicite

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La deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère, à l’instar de la chambre sociale, que le rapport d’enquête d’un détective privé ayant procédé à la filature d’un salarié est un mode de preuve illicite.

Se ménager la preuve de certains actes fautifs tels qu’une concurrence déloyale du salarié n’est pas toujours aisé, notamment lorsque celui-ci exerce une partie de ses fonctions hors de l’entreprise. Certains employeurs sont de ce fait tentés de recourir aux services d’un détective privé afin qu’il procède à une filature de l’intéressé. Or ils risquent une grande déconvenue : ce mode de preuve n’est en effet pas valable et ne peut être examiné par le juge. C’est en tout cas la position de la chambre sociale de la Cour de cassation et, ainsi qu’il ressort d’une récente décision, celle de la deuxième chambre civile.

Une mesure d’instruction ne peut pas être ordonnée sur la base d’un rapport de filature

Une société spécialisée dans la vente d’appareils de radiologie et d’échographie suspectait l’un de ses salariés, ingénieur technique, d’exercer au profit d’une société concurrente une activité parallèle d’agent commercial et de démarcher à cet effet certains de ses clients. Elle avait fait appel à un détective privé ayant procédé à une filature de l’intéressé durant plusieurs jours de la sortie de son domicile jusqu’à son retour à celui-ci. Puis, fort du rapport de filature, qui avait selon lui confirmé ses soupçons, l’employeur avait saisi le président du tribunal de grande instance, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, d’une requête tendant à la désignation d’un huissier. Sa requête avait été accueillie et une ordonnance délivrée, désignant un huissier chargé de procéder à des constatations au domicile du salarié – entre-temps licencié pour faute lourde – et d’y  récupérer tous documents, y compris informatiques, susceptibles d’établir l’existence de l’activité concurrentielle déloyale.

Le salarié avait alors « contre-attaqué » et sollicité la rétractation de l’ordonnance, ce qui lui fut refusé par le tribunal de grande instance, puis la cour d’appel. Cette dernière avait estimé que l’enquête du détective privé, intervenue sur une période limitée durant laquelle le salarié avait un planning d’activité précis à réaliser pour le compte de son employeur, et ayant uniquement donné lieu à des constatations sur la voie publique, ne présentait aucun caractère disproportionné au regard du nécessaire et légitime intérêt de l’employeur de préserver ses droits et intérêts du fait de ses soupçons. Mais cette décision est censurée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au visa notamment de deux textes fondamentaux en matière de droit au respect de la vie privée : l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du Code civil.

Pour la Haute Juridiction, le juge des requêtes ne pouvait se fonder pour partie sur l’enquête du détective privé, mode de preuve illicite au regard de ces textes, pour caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction avant tout procès sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

La filature porte nécessairement atteinte à la vie privée du salarié

La position de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejoint celle de la chambre sociale quant au caractère par nature illicite des filatures de salariés, du fait de l’atteinte qui en résulte à leur vie privée.

Rappelons en effet que, pour la Haute Juridiction sociale, la filature organisée pour contrôler l’activité d’un salarié est un mode de preuve illicite en ce qu’elle porte nécessairement une atteinte à la vie privée ne pouvant, eu égard à son caractère disproportionné, être justifiée par les intérêts légitimes de l’employeur (Cass. soc. 26-11-2002 n° 00-42.401 : RJS 2/03 n° 149). Un compte rendu de filature ne peut donc pas servir d’élément de preuve et doit être écarté des débats par le juge prud’homal (Cass. soc. 3-12-2008 n° 07-43.301).

Il en est ainsi quel que soit l’auteur de la filature : détective privé mais aussi employeur lui-même ou supérieur hiérarchique du salarié concerné. Ainsi, dans l’arrêt précité du 26 novembre 2002, la filature avait été exercée par un supérieur hiérarchique qui s’était posté à proximité du domicile du salarié, soupçonné de fausses déclarations d’activité et de frais professionnels, afin de surveiller les allées et venues de l’intéressé.

Il convient toutefois de ne pas confondre la filature au sens strict, portant nécessairement atteinte à la vie privée du salarié, et la surveillance visuelle dont celui-ci peut faire l’objet de la part de l’employeur ou d’un service de contrôle interne à l’entreprise. Celle-ci est au contraire par nature licite. Ainsi, la preuve des manquements professionnels d’un salarié, contrôleur de bus, peut valablement reposer sur le rapport d’enquête établi par des cadres de l’entreprise missionnés par l’employeur pour observer les conditions de travail des contrôleurs. Peu importe que ces derniers n’aient pas été préalablement informés de cette surveillance (Cass. soc. 5-11-2014 n° 13-18.427 : RJS 1/15 n° 2).

Cass. 2e civ. 17-3-2016 n° 15-11.412 © Éditions Francis Lefebvre 2016

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